Le champs d'à côté
Dans l’Avant, on disait que « l’herbe est toujours plus verte dans le champs d’à côté ». En l’absence d’herbe, on dit maintenant que « la neige est plus blanche chez le voisin ». Le principe reste le même : c’est cette faculté qu’a l’homme de bouder sa propre vie en considérant qu’elle serait bien meilleure s’il vivait ailleurs. De manière raisonnable, on sait que ce n’est pas vrai. Mais au fond de nous, on se dit que la raison peut bien aller se faire foutre.
Elora est l’amie d’une amie, que je n’avais pas vue depuis près de trois ans. Et pour cause : elle était partie vivre à l’autre bout du monde, dans un endroit où le froid régnait déjà avant les bouleversements climatiques, et où les hommes n’ont pas changé leurs habitudes depuis. Un endroit où l’homme ne vit pas sous terre.
Oh, je te vois bien grimacer, va. Bien sûr qu’il doit y avoir des inconvénients, à commencer par l’absence de chauffage central. Mais vivre dehors… je veux dire… dans une ville en surface, aménagée pour… ça doit être chouette. Je m’y sentirais sûrement mieux que dans cette cage souterraine. Elora, en tous cas, n’est revenue que pour mieux repartir : depuis son retour elle ne se sent pas « revenue chez elle », bien au contraire. Que ce soit l'environnement, la vie, les gens, les attitudes. Elle a l'impression d'être chez les fous. C'est pas moi qui l'invente : c'est elle qui le dit.
« Je sais pas comment t’expliquer, Sven. J’arrête pas de me dire…
- Qu’est-ce que je fous là ?
- Exactement ! »
Elle va repartir. Repartir à l’autre bout du monde, dans le champs d’à côté, chez le voisin. Là où j’aimerais partir, je crois, si je n’utilisais pas ma raison pour justifier ma lâcheté.
Sven Thomasson Vërgson
27ème jour de Février 2067