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Blanc comme neige...
22 juin 2007

Le Jazz Cat

"Wow ! Salut, Vë'gson. Dis-donc, ça fait un sac'é bail..."

J'étais parti du boulot un peu plus tôt que d'habitude. J'avais longuement hésité, mais finalement décidé de me rendre au crématorium : je lui devais bien ça, à Katrina.  Elle est morte il y a un an, jour pour jour. Un mois avant que je ne me décide à évacuer mon cerveau sur ce blog, jour pour jour. C'était le 21 Juin 2066.

Je ne suis pas resté longtemps. Et j'ai pas envie d'en parler. Je suis rentré en traînant les pieds, ma grande carcasse déambulant dans les galeries tel un zombie. Et c'est là que j'ai vu le chat, un gros matou qui me matait depuis une conduite d'aération éventrée. Alors j'ai soupiré puis bifurqué, entrant dans le district 3 pour la première fois depuis un an.

Quand je suis arrivé devant le piano-bar, je suis resté planté devant comme un lampadaire. L'enseigne du "Jazz Cat", aussi défraichie que dans ma mémoire, surplombait encore la vieille porte d'entrée en bois, et la silhouette noire d'un chat, debout sur ses pattes arrières, jouait pour l'éternité du saxophone sur son toit de tuiles rouges.

Le visage toujours aussi fermé, j'ai finalement poussé la porte, pénétrant dans la salle obscure, pénétré par un calme morceau de piano qui me fit vaciller. Je me demandais qui jouait, puisque le vieux Jay n'était plus, mais mes yeux cherchèrent d'abord la présence du barman... qu'ils ne trouvèrent pas, car le comptoir se révéla innocupé. C'est alors seulement que je me rendis compte qu'il n'y avait aucun client, et que la seule présence autre que la mienne était celle du barman... installé devant le piano.

"Wow ! Salut, Vë'gson. Dis-donc, ça fait un sac'é bail..."

J'avais une boule dans la gorge, et je n'ai pas réussi à lâcher le petit salut désinvolte que j'avais répété. Lewis m'observait du coin de l'oeil, ses doigts jouant divinement ce même vieil air. Ce vieil air sentant le renfermé, enfermé depuis trop longtemps dans une cellule aménagée au fin fond de ma mémoire. Fallait aérer, mais la serrure était un peu rouillée.

Je m'installais sur un tabouret haut du bar. Il arrêta de jouer, et leva son immense silhouette de black. Lewis était aussi imposant que son père Jay était rachitique : j'avais toujours supposé qu'il devait tenir de sa mère, mais j'avais jamais osé lui en parler. Il n'avait pas changé, en un an, et arborait toujours un crâne mieux rasé que ses joues, un anneau d'or à l'oreille et un vieux polo ras du cou aussi foncé que sa peau d'ébène. Il passa derrière le bar, et entreprit lentement de me servir un verre. La mélodie cristalline de la bouteille et des glaçons remplaça avantageusement le piano dans ma tête.

"ça m'fait plaisi' de te voi'."

Je ne pus répondre : j'avais la gorge sèche. Ou humide. En boule. Ou Nouée. Que sais-je ? J'attendais impatiemment qu'il pose enfin le verre de rhum que je n'avais pas commandé devant moi, mais il était d'une méticulosité diabolique. Et quand finalement il installa un sous-verre à portée de ma main droite et qu'il y déposa précautionneusement le breuvage ambré, je n'y touchais pas. Lentement, le colosse marcha jusqu'à une étagère et me rapporta un ramequin de cacaouètes grillées. Puis il entreprit de rincer des verres, en les essuyant interminablement avec un torchon blanc immaculé.

Nous sommes restés presque une heure sans échanger la moindre parole. J'ai savouré le rhum qui, lui aussi, avait un goût de passé. J'ai payé en laissant la monnaie. Puis je suis sorti.

Et tandis que je m'éloignais, je crus entendre à nouveau les premiers accords de piano de "White like a snow flake".

Sven Thomasson Vërgson
22ème jour de Juin 2067

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Commentaires
S
Schizozote 1 : toi, je t'aime plus ! ;) ;) ;)<br /> <br /> Schizozote 2 : ah, tu vois finalement que tu devais y être, à ma fête !
S
... fainéants au taf... étant ce qui manquait après le "plus en plus" pour que la phrase soit compréhensible. Les smileys ou les verres de vin m'ont tuée.
S
Ouep, de là à dire qu'on aime de plus en plus te lire, y'a un grand pas de clavier, de A à P ; ça prouve juste qu'on devient de plus en plus , soit dit en passant... ;) ;) ;) T'as vu, j'use et abuse des smileys :) :) :)
S
En fait, je viens même de me rendre compte que le mois de Juin (qui n'est pas encore terminé !) a déjà battu le record d'audience de ce blog, détenu par le mois d'Août de l'an passé. Mille fois merci : je ne m'y habituerais jamais.
S
Overtheclouds : si je me mets à faire pleurer les filles, on va-t-on, je vous le demande ?<br /> <br /> CarrieB : j'aime ce sentiment de nostalgie, quand il n'est pas poussé à l'extrême.<br /> <br /> Schizozote : il y a des choses qui se respectent, et tu l'as bien compris. Merci.<br /> <br /> Zelia : "White like a snow flake", hein ? Après tout, pourquoi pas...<br /> <br /> Cathy : merci de l'avoir lu et commenté.<br /> <br /> TOUS : la fréquentation de la semaine passée a (largement) battue celle de la semaine précédente, qui venait pourtant de prendre le record en terme d'audience depuis la création de ce blog. On va de surprise en surprise, moi je trouve. Mais ce qui est sûr c'est que je vous dois un grand, un énorme MERCI.
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