Bonne nuit
Je rentre tard, à la lumière faiblissante des réverbères du district 5. Je n’aime pas ça. Non pas tant à cause d’une puérile peur du noir, mais bien parce que cela me rappelle – nous rappelle à tous – combien notre vie souterraine est artificielle.
Ce sont les psychologues qui l’ont dit : l’humain a besoin de repères. De respecter un cycle. Il a besoin qu’il fasse jour le jour, et qu’il fasse nuit la nuit. Alors on a mis en place un système d’éclairage qui varie avec l’horloge : le jour, l’éclairage est à fond, et les galeries sont très bien éclairées. Je vais pas te dire qu’on y voit comme en plein jour, parce que ça m’arracherait la gueule de prononcer une phrase pareille, mais c’est ça l’idée. Et puis, en fin de journée, lentement, les luminaires baissent d’intensité. Pas jusqu’à s’éteindre, bien entendu, mais juste assez pour que tu ne distingues plus bien ce qu’il y a entre les ombres. Juste assez pour raviver tes peurs d’enfants. Ou pour dissuader les femmes d’une balade solitaire.
Les papillons de nuit, ces résistants insectes, pullulent dans les galeries. En journée, quand la citée est baignée de la lumière blanche des néons, tu ne les vois pas. Mais ce soir, tandis que je marche, simplement guidé par les lueurs désormais blafardes, je les vois virevolter autour de ces pâles soleils. Ou lunes. Ils y croient, les papillons, à cette nuit artificielle. Moi, j’ai besoin de faire un détour par la place de St Moldan, sous la coupole de nanoplexi, si je veux me persuader que dehors les étoiles – les vraies étoiles – brillent bien dans le ciel bleu nuit. Je vais m’asseoir sur le banc de droite, à côté de la vieille dame, qui est là tous les soirs à la même heure, le visage levé. Je reste cinq minutes, rarement plus, juste le temps que mes yeux s’habituent à l’obscurité et distinguent les étoiles. Les vraies étoiles. Ensuite je me lève, et dis « bonsoir, madame ». Et elle me répond invariablement « je vous souhaite la bonne nuit, monsieur ».
Alors seulement je suis rassuré. Et c’est ainsi que j’entretiens cette certitude au fond de moi, cette croyance que tout n’est pas faux.
Sven Thomasson Vërgson
Second jour d’Octobre 2067