Dix neuf ans
Je dis souvent que les seules femmes qui s'intéressent à moi ont soit moins de dix ans, soit plus de soixante. Et, la plupart du temps, c'est vrai.
Mathilda n'est ni si jeune, ni si âgée, mais merde, elle n'a pas vingt ans, et c'est bien trop jeune pour être raide dingue d'un Sven Vërgson. C'est une amie de l'une des soeurs d'HD. Une gamine dans un corps de femme qui n'a pas hésité à m'aguicher clairement depuis une semaine. Ce n'est même plus du 'rentre dedans' : c'est un plaquage de rugby dans la plus belle forme de l'art. Un plaquage qui ne relâche pas son étreinte et qui te colle comme une sangsue. Et je ne connais qu'une seule façon de se débarasser des sangsues.
"Tu sais..." commençais-je en baissant la voix, en prenant un air sombre, et en me penchant un peu vers elle, "la plupart des gens que je connais te diront que je suis un mec sans histoire. Que j'ai toujours eu une vie facile, sans trop d'emmerdes. Que je ne sais pas ce qu'est le malheur..."
Je baissais les yeux pour rajouter à l'intérêt dramatique.
"La vérité... la vérité c'est que..."
Je me redressais soudain, un grand sourire aux lèvres.
"La vérité, c'est qu'ils ont tout à fait raison."
Je me régalais de son expression interloquée.
"Et tu sais pourquoi j'ai jamais eu trop d'emmerdes ?"
Elle ne savait plus trop quoi penser de la situation, je crois. Elle ne sut que répondre et ne fit que secouer tout doucement la tête.
"J'ai jamais eu trop d'emmerdes pour la simple et bonne raison que je les cherche pas. Et, à mon âge comme au tiens, sortir avec quelqu'un de dix ans plus jeune, c'est la promesse solennelle d'emmerdes à foison."
Je te jure : je l'entendis retenir son souffle.
"Alors ouais, je sais : les mecs c'est con, encore plus à ton âge qu'au miens, et ça veut dire beaucoup. Je suis bien placé pour le savoir. Mais en cherchant on finit toujours par trouver une perle au milieu des huîtres."
Elle ouvrit la bouche pour parler, mais je stoppais son mouvement en levant mon index.
"Nan. Moi, je suis un oursin."
Je me levais, et sans un regard en arrière la laissais plantée là. J'avais bien envie de me retourner pour voir comment elle réagissait, mais j'avais tellement réussi ma sortie théâtrale que je n'osais pas tout gâcher.
Je ne connais qu'un moyen de me débarasser des sangsues. Et, sans trop vouloir me vanter, je trouvais que ma petite tirade ne manquait pas de sel.
Sven Thomasson Vërgson
26ème jour de Février 2069