La nuit la plus longue du monde
Mr Batier m'a chargé de remplacer ma collègue Judith pour la visite chez l'un de nos principaux clients. Et bien entendu, je suis en retard, mon pantalon est trop court et j'ai oublié de me raser. Le type qui me reçoit fait au moins quatre mètres cinquante, et je ne suis définitivement pas à la hauteur.
Je me retourne sur mon lit et le rêve se brise, se réinitialise et se modifie. J'arrive à l'atelier de Mr Batier et Judith me rappelle que je ne devrais pas être là, que j'avais rendez-vous chez le client à l'autre bout de la cité, que je peux encore y être si je conduis vite, et puis grimace en rappelant à tout un chacun que - ah oui, c'est vrai - je n'ai pas de voiture. Va falloir que je prenne le bus, avec trois arrêts et un changement. Au moins.
Je ronchonne et ouvre un œil, contemplant mon réveil afficher sardoniquement ses 02:14 du matin, en rouge brûlant dans l'obscurité poisseuse de ma chambre. La paupière se referme comme une porte blindée et après un voyage interminable dans un bus onirique je fais finalement mon speech au client, qui m'écoute et hausse un sourcil parce que ce n'est pas ce qu'il avait demandé à Judith. Je suis pas au courant, que je réponds. Je passe pour un con, et ne suis sauvé que par une sonnerie de téléphone portable. Le client tâte ses poches et me dit "je crois que c'est le vôtre..."
Mon téléphone vibre et s'illumine sur ma table de chevet. Je crois un instant que c'est la fonction alarme qui met enfin un terme à cette nuit de cauchemar, mais non : on m'a appelé. Mon réveil affiche 03:47. Cette nuit ne finira jamais.
Cette fois, je suis sur le point de faire signer un contrat en or à ce client géant. Sauf que, merde, pas moyen de trouver un stylo qui écrit. C'est au moment où je demande si ça ne dérange pas si on signe avec un stylo rouge que je me redresse sur mon matelas, au son du bip-bip du réveil. Je frotte mon visage à deux mains. Il est enfin 06:30, l'heure de me préparer pour chopper le bus qui m'emmènera jusque chez le client de Judith. J'attrape mon portable pour écouter mon message nocturne.
Finalement, je vais peut-être bien retourner me coucher : entendre Hurley - bourré - chanter à tue-tête sur mon répondeur un vieux générique de dessin animé me conforte dans mon impression d'être encore en train de rêver.
Sven Thomasson Vërgson
7ème jour de Janvier 2070
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