Un jour sur Terre
J'ai lancé un bonjour assez tonitruant et monstrueusement jovial en arrivant dans la salle de repos du personnel. J'en avais besoin. Ce que j'ai eu en retour, c'est un "ouais salut", aussi monotone que collégial.
J'ai quand même trouvé la force d'élargir mon sourire en arrivant à la machine à café. C'est tout juste si je filais pas une grosse claque sur l'épaule de Rudy - mais il venait de récupérer son gobelet brûlant et outrageusement sucré dans l'engin. "Saluuut ! Comment va mon jeune et fringant collègue ce matin ?". Lui, il avait une tête d'enterrement - Celle qu'on a quand on vient de perdre sa maman ou son chat, quand on vient de se faire plaquer, quand on a un cancer. "Tu parles, fais chier, monde de merde, j'ai le cul qui gratte, et en plus il neige" qu'il a répondu.
J'ai été convoqué chez m'sieur Batier, et même en sachant ce qui m'attendait j'ai gardé mon masque de Jean-qui-rit - hé, quoi, c'est le patron hein. C'est le patron : il a pouvoir, argent, appart monstre dans un district classe. Chieur comme il est, il a quand même une femme. Pas trop mal, en plus. Et des soucis, comme tout le monde. "Môsieur Vërgson, vous comprenez, avec toutes ces charges, il va falloir arrêter d'imprimer en couleur, ça nous coûte bien trop cher" : ça a commencé comme ça. Et, une heure quarante cinq plus tard, sans que je sois capable de retracer le cheminement de la discussion quasi-larmoyante, j'en étais à écouter des plaintes concernant "la solitude des rois". Très... royal, comme discours.
La mémé qui attendait le bus devant la société faisait la gueule ; La boulangère chez qui j'ai pris mon pain faisait la gueule ; Lewis, au Jazz Cat, ne souriait pas ; Même les mails que j'ai reçu ne comportaient aucun smiley.
Hé, sans déconner : il y a vraiment des jours durant lesquels je me trouve 'achement courageux de continuer à être souriant et optimiste dans la vie.
Sven Thomasson Vërgson
25ème jour de Février 2070