Lost in orientation

"Je vais devenir dingue, je crois"

J'avais mis quarante-cinq minutes pour venir à ce rendez-vous, et depuis quarante-cinq minutes supplémentaires je tournais en rond dans le quartier à la recherche du lieu exact. J'avais emprunté le téléphone d'Hurley qui m'en vantait encore récemment l'application de navigation urbaine, et l'ingénieux appareil m'indiquait fièrement que j'étais arrivé à destination... sauf que ce n'était pas le cas. J'avais la bonne adresse, j'étais à priori dans la bonne rue, mais à l'endroit indiqué il n'y avait qu'un vieux local à l'abandon.

J'avais mal aux pieds d'avoir testé toutes les ruelles et traverses alentours, mal aux yeux d'avoir scruté les panneaux indicateurs des noms de rues, et j'avais chaud malgré la température toujours glaciaire de ces chères bonnes galeries souterraines qui nous servent de ville.

"Je vais devenir dingue, je crois" murmurais-je en appelant pour la seconde fois mon rendez-vous : les explications qu'il m'avait donné la première fois ne me menaient à rien.

"Ah, je vous ai dit de tourner à gauche ?" me questionna-t-il, soudain gêné.
- Oui ! Vous m'avez dit 'gauche-gauche-gauche' ! Trois fois gauche !
- Ah, en effet. Eh bien, je me suis trompé, c'était à droite en fait"

Après moult explications supplémentaires et une constatation frappante d'un certain illogisme dans l'aménagement urbain du district (deux traverses distinctes qui portent le même nom, je trouve ça encore sympa de ma part d'utiliser le terme 'illogisme'), j'arrivais enfin à destination. Une heure de retard. J'enrageais.

Et là...

A cinq mètres sur ma droite, j'aperçu le nom d'une entreprise que j'ai visité à l'époque où je travaillais avec Boss. Tout me revint immédiatement, et je reconnu soudain l'endroit clairement, comme dans un flash : nous avions tourné près d'une demi-heure dans le quartier pour trouver l'endroit, et boss était super nerveux car l'énorme avance que nous avions prévu fondait comme neige au soleil (c'est une image : la neige ne fond pas ici, même au soleil). J'en fus stupéfait : j'avais déjà été confronté à cette même situation, la vie venait de me placer à nouveau face au même piège, et je venais de marcher dedans comme si c'était la première fois.

"Je vais devenir dingue, je crois" répétais-je bêtement, comme mon erreur.

La vie est une formidable institutrice. Dommage qu'on soit de tels cancres...

Sven Thomasson Vërgson
21ème jour de Novembre 2072

Comments

[STV.]

Nathalie : j'ai rien emporté du tout, et je ne manque pas du tout à Boss (du coup je suis obligé de vous raconter l'anecdote, je l'ai croisé l'autre jour, vous lirez ça bientôt ici <-- PUB)



Berthoise : même pas. Le café n'est plus l'incontournable qu'il était (et c'est bien dommage).

[Berthoise]

Et le mec, pour se faire pardonner, il t'a servi un café ?

[Nathalie]

Ah ! oui, si, finalement, tu tournes en rond.

La bonne nouvelle c'est que tu as emportés les clients en quittant Boss. Il doit avoir du mal à l'admettre, tu lui manques.