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Blanc comme neige...
8 janvier 2013

Fusil

"Et ça, c'est un calibre 22."

Il me met le fusil entre les mains, et son poids me sidère. De la dizaine d'armes qu'il possède, c'est la plus grande. Le canon est très long, la crosse très large, la lunette de visée impressionnante : je me croirais dans un film de sniper. Je dois avoir l'air apeuré, parce qu'il dédramatise tout de suite le truc.

"C'est du tout petit calibre. Pour le lapin, genre."

Autant pour ma vision du sniper pulvérisant un soldat en gilet kevlar à un kilomètre de distance : putains de films américains.

"Et ça tire à combien ?
- Boarf... 100, 200 mètres ?
- C'est tout ?
- Ouais, ben touche déjà un lapin à 50 mètres et on en reparle, petit branleur."

Touché, et dans le mille : j'ai jamais tenu une arme à feu de ma vie.

"Tu veux l'essayer ?
- Pas vraiment, non.
- Ok viens, suis-moi."

Dehors, il fait nuit, il fait froid, et la neige est toujours aussi épaisse. Ouais mais, hé, c'est dehors ! Loin de mes galeries qui sentent bon la claustrophobie, je suis bien content de prendre l'air, même pour une expérience de ce genre. Dans mes gros gants, je tiens maladroitement le fusil : je le sais non armé, et pourtant je me sais gauche, ne sachant si je dois pointer le canon vers le ciel ou vers le sol. Je choisis le sol : plus facile, car l'arme est vraiment lourde.

"Voilà !"

A une vingtaine de pas, il a entassé un peu de neige pour y déposer une vieille balle de tennis déprimée - n'importe qui le serait, à sa place. De l'autre côté du fusil, je suis étrangement inquiet moi aussi, même si ma première rélexion est de me dire que la distance est courte. Il sort un chargeur de sa poche, y glisse lentement cinq petites balles. Petit calibre, petit trou sans doute. Grande douleur, j'en suis sûr. Il me prend le fusil des mains, y insère le chargeur, arme l'engin.

"A toi !"

Il me tend l'arme, déjà pointée en direction de la cible. Je suis encore plus gauche que tout à l'heure : c'est mon corps qui tourne autours du fusil pour se mettre en position de tir, doucement, comme si je tentais de contourner un ours endormi en ayant peur de lui marcher sur la queue. J'empoigne. Je regarde dans la lunette, y cherche la balle. Y placer le curseur du viseur est facile, l'y maintenir beaucoup moins. Encore une fois, je trouve l'engin particulièrement lourd. Mon bras tremble, et le froid n'aide pas.

"Désolé, la balle !" me dis-je en silence.

Mon index se crispe sur la détente, et j'appréhende soudain le recul. Je recale la crosse sur mon épaule, resserre mon étreinte. L'arme est de plus en plus lourde, et je me dis que si je ne tire pas très vite je tremblerai si fort que toucher la cible tiendra du miracle. Je reprends la visée. Me décide.

< Clac ! >

Bruit sec et léger, recul pour ainsi dire inexistant. La balle n'a pas bougé. Dans la lunette, j'ai vu se dessiner une ligne dans la poudreuse, à une vingtaine de centimètres de la cible. Je suis donc déçu de bien des façons...

"Pas mal, mon lapin ! me félicite-t-il pourtant. Relève ce levier, tire-le vers toi, puis remets-le en place."

Sous ses instructions, j'éjecte la douille qui saute dans la neige sur ma droite, puis réarme le fusil. La balle de tennis ne m'a pourtant rien fait, mais je sens que ça commence à devenir une affaire personnelle. J'épaule de nouveau. Plus question d'hésiter : il faut viser puis tirer vite avant que le bras ne fatigue.

< Clac ! >

Cette fois la balle saute en arrière sous l'impact - comme les méchants dans les films américains. De dix centimètres. Bon. On a l'Hollywood qu'on peut.

Sans un mot mais avec le sourire, il va replacer la cible. J'attends qu'il revienne se mettre derrière moi pour réarmer. Je fais feu trois fois de plus, manquant la cible trois fois. Mes tirs s'éloignent de plus en plus du sujet : mon bras fatigue et je n'arrive plus à maintenir le fusil stable.

"Hé, tu as touché une fois Sven, c'est bien !
- Mouais..."

Il me reprend l'arme et je lui en suis très reconnaissant. Il vérifie qu'il ne reste plus de balle ni dans le chargeur ni dans le canon. Je souffle dans le froid comme on expire de la fumée de cigarette, comme soulagé d'avoir terminé l'expérience. Il va chercher notre pauvre cible et me la lance. Je l'attrape au vol et contemple l'impact. Pas facile à voir dans le revêtement abîmé. Mais bon je l'ai eu, c'est ça qui compte.

"Bon, le problème des lapins, c'est qu'ils courent, eux..." commente-t-il, un sourire goguenard aux lèvres. Je grimace. Il s'exclaffe.

"Tu veux boire une liqueur de réglisse ?
- Pas vraiment, non.
- Ok viens, suis-moi."


Sven Thomasson Vërgson
8ème jour de Janvier 2073

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Commentaires
F
C'est vrai que c'est drôle comment finalement l'esprit s'attarde sur un simple détail, une liqueur, après avoir devalé un texte. Pourquoi, je l'ignore. L'originalité du breuvage ? Tout ce que je peux dire, c'est que j'ai du mal à t'imaginer chasseur en fait. Conducteur de chasse-neige, empecheur de tourner en rond, observateur du monde, alpiniste, faiseur d'omelettes, buveur de liqueur de réglisse....mais chasseur, bah non, ça le fait pas ! <br /> <br /> <br /> <br /> Tout cela pour te dire que je te souhaite une excellente année 2013 et de l'inspiration en pagaille pour éviter les crevasses<br /> <br /> <br /> <br /> Une fois n'est pas coutume et puisque la neige vient de commencer à tomber chez moi : une bizz Sven ;)
B
Alors la liqueur, c'est comment ?<br /> <br /> Fallait au moins ça pour se remettre des émotions.
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