Envers et contre tout

"Eh bien moi, je suis 'contre', c'est tout.
- Eh bien moi, je me demande ce que ça peut bien te foutre..."

Les discussions de bar, ça me fatigue. D'habitude, je n'y participe jamais, et je me contente de grignoter les cacahouètes grillées que me file Lewis tout en sirotant mon rhum ambré. Discuter avec Barn, en plus, c'est plus que perdu d'avance : ses points de vue sont aussi innamovibles que son corps - et ses 155 kilos, je te mets au défis de venir les bouger sans transpalette. Je me souviens qu'une fois, il y avait eu un grand débat sur la réincarnation (c'était un samedi soir, et il était tard). Eh bien tout le monde se souvient encore de l'acharnement avec lequel Barn avait défendu cette théorie selon laquelle les âmes se réincarneraient. Il avait été intraitable, même si je me demande encore qui pourrait avoir eu envie de se réincarner en Barn - et pourtant ils devaient être plusieurs, vu le gabarit.

Bref : discuter avec Barn était totalement et définitivement inutile. Mais moi et ma grande gueule, hein...

"Barn... sans déconner... ce projet de loi sur les accès automobiles, qu'est-ce que ça peut bien te foutre, puisque tu es piéton ?
- Je trouve pas ça normal, c'est tout. Et si je pouvais je serai allé avec eux, là."

Du doigt, il pointait le téléviseur du bar qui retransmettait la manif. Le petit écran montrait que la galerie principale menant à la place Garibaldi était noire de monde - sans doute des milliers de personnes selon les organisateurs, sans doute quatre fois moins selon la police. De nos jours, dans nos galeries souterraines, les gens possédant une voiture sont très peu nombreux, et je me demande toujours combien - parmi les manifestants - étaient réellement concernés par le texte de loi.

"Ce texte ne doit pas passer, c'est la porte ouverte à tous les excès ! Les automobilistes sont tous des cons, va y avoir des abus !"

L'être humain adore prendre position, s'exprimer, contester, combattre pour des causes, même quand il s'agit de sujets qui ne le concernent pas. Et comme de bien entendu, quand il parle de sujets qu'il ne connait pas, il dit souvent n'importe quoi...

"On va où là ? Si on autorise ça, faudra pas s'étonner si les jeunes se remettent à conduire n'importe comment ! Ah là là, pauvre monde...!"

J'ai soupiré, et j'ai laissé tomber. Cette loi passera, de toute façon. Et moi j'estime n'avoir aucune raison de m'y opposer : j'ai jamais eu de bagnole de ma vie.

Sven Thomasson Vërgson
Avant dernier jour de Janvier 2073