Et j'entends siffler le train
« M’enfin, Sven ! Sans déconner, ça t’intéresse pas ? »
Ben non. J’en ai strictement rien à péter.
C’est la grande manie d’Hurley, ça. La seconde après être amoureux, je veux dire. Mais il est pas amoureux, en ce moment, alors il passe son temps sur sa seconde manie : la politique.
Les élections approchent à grands pas, et tout le monde ne parle que de ça. Hurley, il passe son temps à regarder des émissions, à écouter des débats, à lire des articles spécialisés, à s’engueuler avec son voisin, à polémiquer sur le réseau. Il exprime ses idées, défend ses justes causes, démonte les argumentaires adverses. Bataille joyeusement avec ceux qui ne pensent pas comme lui. Invente de nouveaux noms d’oiseaux.
Moi, déjà, je trouve aberrant de pouvoir penser qu’une poignée d’hommes et de femmes soit capable de gérer efficacement cinquante millions d’individus. Rien que le principe, ça me laisse perplexe. Quand je vois qu’un comité de direction d’entreprise a bien souvent du mal à maîtriser l’organisation de quelques centaines d’employés, je me demande comment Hurley peut croire qu’un gouvernement peut piloter un pays. Vraiment piloter, je veux dire.
Un pays, c’est un train lancé à cent à l’heure. Y’a parfois des aiguillages, mais c’est bien le maximum que l’homme puisse faire : influer de temps en temps sur la direction. Vaguement. A part ça, le train, il roule tout seul, comme un grand, et malgré tout ce qu’on peut dire ou faire on ne peut pas l’arrêter ni sortir des rails. Moi je crois que les habitants d’un pays, ils sont bien exigeants vis-à-vis de leurs politiques. Faut bien avouer qu’ils se donnent aussi beaucoup de mal, les politiques, pour essayer de faire croire qu’ils tiennent vraiment les commandes du train…
Et où est-ce qu’il va, notre train ? Boarf : ça, Dieu seul le sait. Et encore. Je crois t’avoir déjà exposé mon argumentaire religieux et expliqué que, même s’il peut le savoir, Dieu, il s’en branle. Et la politique, il en a un peu rien à péter.
Comme moi, donc : je sais que j’te l’ai déjà dit, mais ça m’aurait vraiment bien botté d’être Dieu.
Sven Thomasson Vërgson
12ème jour de Septembre 2066