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Blanc comme neige...
6 octobre 2006

Les fils de la jungle blanche

Carnets de voyage de Stanislas Vërgson (extraits) - 2ème jour de Juillet 2060

C'est la seule et unique fois où j'ai emmené le p'tit Sven, le fils de mon frère, dans l'une de mes pérégrinations. Les voyages forment la jeunesse, fils, et c'est pas aujourd'hui qu'la Terre tourne plus très rond que l'expression est devenue fausse, bien au contraire. Le gamin d'vait avoir une bonne vingtaine d'années, et ce petit trou du cul avait déjà de la trempe à son âge. A chaque fois qu'il ouvrait un peu trop sa gueule, mon frère regardait sa femme avec des yeux soupçonneux en se demandant à voix haute si Sven était son fils ou le mien.

La forêt amazonienne, touchée comme tout l'reste par la vague glaciaire, était paraît-il devenue un sacré drôle de paysage, et j'voulais absolument la parcourir afin de voir d'mes yeux si la nature s'adaptait, si les animaux se débrouillaient, si le paysage devenait une forêt de glace ou pire, une lune cristalline et stérile. J'pensais que, comme en Europe, les humains ne nous poseraient pas trop de problèmes, réfugiés sous terre pour échapper au froid, mais je me trompais. Tu vois fils, tout le monde n'avait pas rallié les souterrains des grandes villes, pour la simple et bonne raison qu'elles étaient peu nombreuses, les grandes villes à posséder des souterrains.

Au bout de seulement deux jours de marche en extérieur en quittant la première cité, nous avons été accostés par des soldats indépendants, des guérilleros rescapés d'une époque révolue (révolutionnaire ?). Le changement pourtant visible du monde ne semblait pas les affecter, fils, et ils continuaient à survivre en cultivant les mêmes schémas de pensées et les mêmes plans de plantes prohibées. Nous avons dû palabrer dur pour obtenir le droit de franchir le pont qui menait sur ce qu'ils appelaient "leur territoire". J'apercevais de drôles de serres artisanales, par là-bas, et j'ai fini par piocher dans ma réserve de fric liquide pour que ces "camarades" retirent leurs index des gâchettes. C'est p't'être là que j'ai fait une connerie. M'enfin.

Le franchissement du pont se passa sans encombre, lui. Trois heures de négociations pour trois minutes suspendus au-dessus du vide, c'était cher payé fils, et je te compte pas les biftons que j'ai aligné. Derrière le pont commençait la jungle vierge et un autre pays, hors du champs de vision des autorités qui ici fermaient les yeux. Le paysage valaient pourtant le coup d'oeil : la flore morte et terne croulait sous des monceaux de neige et de glace qui les conserveront ainsi sans doute pendant des décennies ou des siècles, maintenant. Les arbres étaient tous devenus saules pleureurs de cristal, leurs stalagtites regrettant en silence l'époque ou forêt équatoriale était synonyme de chaleurs et d'humidité étouffante. C'était un paysage triste et étrange, fils, mais étonnament beau, je crois. Le p'tit avait du mal à regarder où il mettait les pieds tant il avait la gueule en l'air.

Peu avant la tombée de la nuit, quelques guérilleros nous rattrapèrent, la mine sympathique, pour nous proposer de les suivre jusqu'à leur "ville". Je sentis le piège, mais Sven le naïf acceptait déjà leur proposition avec bienveillance, et aller à l'encontre de ce qu'il venait de dire risquait de déplaire à nos gentils hôtes. Je feintais l'acceptation reconnaissante, moi aussi. Nous les suivîmes jusqu'aux comptoirs désafectés qui abritaient aujourd'hui la communauté des "fils de la jungle blanche", riche d'une centaine d'individus. L'alcool artisanal eu vite raison des restes de prudence du gamin. Moi, j'avais bien plus d'endurance. Mais il suffit de quelques minutes d'inattention (j'avais suivi une serveuse dans l'arrière-salle afin de l'interroger subtilement sur les activités de nos guérilleros) pour que le drame survienne. Je venais juste de découvrir, grâce à une grande habileté, que le kidnapping était une activité encore lucrative par ici, quand Sven débarqua en trombe dans la pièce, poursuivi par nos rudes négociateurs du pont. Visiblement, ces derniers avaient finalement décidé qu'nous allions rester un peu plus longtemps que la seule nuit qu'était prévue.

En plein territoire ennemi, il était inutile de résister, mais mon jeune blanc-bec de compagnon se permit un petit combat de bar digne de toute soirée arrosée qui se respecte. Il ne subit pas l'interrogatoire auquel je fus soumis, et qui visait à savoir - en gros - si j'étais riche ou si des gens riches tenaient à moi. Sven ne se réveilla que le lendemain, avec un mal de crâne qui valait autant à la force de nos kidnappeurs qu'à celle de leur alcool maison. Il avait bien du mal à croire à c'qui nous était arrivé.

Etant donné que nos geôliers espéraient une rançon qui - j'le savais bien fils - ne viendrais jamais, il nous fallait imaginer autre chose si nous voulions revoir notre baie d'Azur. Bien heureusement, les producteurs de substances illicites sont parfois aussi consommateurs, et nous avons mis moins de trois jours à trouver la faille et à nous éclipser de la miteuse cité des "fils de pute de la jungle de poudre blanche" - comme nous avions fini par les surnommer.

Cet incident de début de parcours fût le plus marquant du séjour : non pas que les trois semaines de marches dans la forêt de cristal fûrent une promenade de santé, mais finalement quand le monde se détraque on est en droit de s'demander si le plus grand danger qu'on puisse croiser, c'est pas l'homme...

***

Si tu as lu ma note hommage à mon oncle, cher lecteur, tu auras remarqué les légères différences entre son récit et le mien. Je sais que ses carnets font tout pour décridibiliser mon point de vue, et je ne nie ni ma naïveté à l'époque, ni l'alcool que j'ai pû boire ce soir-là. Je persiste néanmoins à dire que son interrogatoire de la serveuse n'était pas si subtil que cela (même si je ne dénonce aucunement un manque d'habileté de sa part).

Sven Thomasson Vërgson
6ème jour d'Octobre 2066

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Commentaires
S
tres bon il manque dinfo
S
Féekabossée : les descriptions de mon oncle sont conformes au souvenir que j'en ai gardé : un paysage beau, fixé pour l'éternité, irréel. Mais triste, aussi.<br /> <br /> M : j'adore que vous adoriez.
M
Euh bon le coup de la ponctuation je peut pas déja le refaire donc je dis rien mais en fait pareil que le dernier mot de la féekabossée.
F
la description des paysages est magistrale gars !!<br /> j'avais l'impression d'être dans Narnia ...<br /> j'adore !!
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