Emotivité
« Je t’aime, papa »
L’émotivité est quelque chose d’étrange. Je ne sais pas si ça te fait ça, à toi. Moi, je suis capable de rester de marbre à l’enterrement d’un proche et de chialer comme une madeleine devant une scène cucul d’un dessin animé. Je suis un gars émotif, je le sais, mais je ne sais pas trop ce qui déclenche chez moi l’émotivité. Un gros choc émotionnel me laisse souvent de glace, quand au contraire il y a parfois un truc, un instant, un regard, un mot qui va me toucher plus qu’un autre, et qui va me faire flancher. Qui va heurter un point sensible. Comme un coup de pied dans les parties.
Si tu connaissais un tant soit peu mes parents, tu parierais ta chemise que ma mère verse une larme à chacun de mes anniversaires, et que mon père est un roc solide prenant tous les évènements de la vie avec bonhomie. Et t’aurais pas tort. Ou plutôt, disons que j’aurais parié comme toi.
Et on serait torse nu tous les deux, à l’heure qu’il est.
Parce qu’en cette fin d’année, pendant les traditionnelles accolades, les baisers pleins de vœux et de mots doux, et ben c’est mon père qui a craqué. Je ne sais pas si c’est l’instant, le lieu, le vin, mes mots simples et francs, mon regard. Je ne sais pas. Mais les larmes lui sont montées aux yeux, d’un coup, sans prévenir. Il a semblé surpris, a difficilement réussi à me souhaiter une bonne année en ravalant le premier sanglot, puis s’est mis à l’écart quelques minutes pour reprendre contenance. Il a démarré la nouvelle année souriant, mais rouge et les yeux gonflés.
Et d’aussi loin que je me souvienne, je n’avais jamais vu mon père pleurer.
Sven Thomasson Vërgson
Second jour de l’année 2067
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