A ta santé, frangine
"Mais sii ! Tu te souviens pas ?"
Je lui jettais un regard blasé, du genre qui veut dire que j'ai même plus la force de répondre. Je l'avais croisé dans la rue, et il semblait persuadé qu'on se connaissait. Moi j'étais pas sûr, mais il avait voulu me payer un coup à boire : t'imagine bien qu'à ce tarif je pouvais bien mettre ma mémoire en doute. Et puis, il avait un argument de folie :
"Mais siii ! Même que je suis sorti avec ta soeur !"
Je secouais lentement la tête pour nier encore une fois, la bouche pleine de bière et les lèvres pleines de mousse. Ma mère elle m'a toujours appris à ne pas parler la bouche pleine. Essaie avec la bouche pleine de bière, tu vas vite comprendre pourquoi.
"Nan, ça, ça m'étonnerait..." que je répondis une fois ma goulée avalée. "Qu'on ait été dans la même promo au lycée, je veux bien, mais que tu sois sorti avec ma soeur j'y crois pas une seconde".
Il éclata de rire et écarta les bras comme pour prendre tout les clients du bar à témoin. Le visage du Saint. L'enrobé de bonne foi.
"Mais siiii ! Enfin ! J'suis quand même bien placé pour le savoir, non ?"
Je ricanais et terminais rapidement ma bière : ce qui est pris n'est plus à prendre et ne peux plus être repris. Je suis pas un gros fana de bière, mais il faut avouer qu'une bonne mousse bien fraîche après le boulot ça passe toujours très bien. Surtout quand on la paye pas. Parce qu'une bière, si c'est pas gratuit, c'est trop cher.
"Nan mon gars, t'as jamais sorti avec ma soeur..." assénais-je une dernière fois en me levant de mon tabouret de bar.
J'étais sûr de moi : j'ai jamais eu de soeur.
Sven Thomasson Vërgson
19ème jour de Juillet 2067