Crapaud
« Le monde manque un peu de magie, je trouve… »
Il m’écoutait sans rien dire en me regardant dans les yeux. J’avais besoin de parler, et je le trouvais bien placé pour m’écouter.
« Je veux dire… ça va te paraître un brin naïf, mais étant gosse j’ai été pas mal marqué par les contes et légendes que me racontait mon oncle. Tu vois de quoi je cause ? Les aventures épiques, les gentils qui gagnent à la fin, le coup des princes charmants…
- Croâaa ? »
Le crapaud pencha la tête de côté, puis plongea souplement depuis le tuyau d’évacuation. Je suivis des yeux la nage du batracien jusque sur l’autre rive du canal d’écoulement du district 7. Je soupirais.
« C’est ça, casse-toi aussi, va… »
Et dire que je pensais trouver une oreille attentive auprès d’un cousin ! Je me sentais parfaitement crapaud, ce soir, et j’avais pensé qu’il pourrait me comprendre. Ou compatir, au moins. Au lieu de ça, il fit mine de ne pas m’entendre et bondit deux ou trois fois à l’opposé de mes jérémiades.
« Oh, maman, maman ! Regarde, une grenouille ! »
Une gamine surgit d’une étroite galerie, de l’autre côté du canal. Elle ouvrit grand les yeux, joignit ses mains sur sa poitrine, et couru droit sur l’ingrat petit animal.
« Violette, s’il te plaît, revient ici ! » appela la mère.
Mais la fillette – elle aussi – fit mine de ne rien entendre. Elle se pencha, attrapa le crapaud d’un geste sûr, et le leva devant ses yeux. La bouche en cœur, elle éclata de rire et l’emporta.
« Enfoiré… » murmurais-je.
Je me retournais, enfonçais mes poings bien profond dans la chaleur de mes poches, et m’éloignais, solitaire, dans la lumière faiblarde des réverbères.
Je persiste et signe : le monde manque décidément un peu de magie...
Sven Thomasson Vërgson
18ème jour de Septembre 2067