En manque
Est-ce que ça se voit ?
Oh, non, pas vraiment, j'ai la même gueule que les autres jours, je trouve. Quoique ? J'approche mon visage du miroir, et là je distingue un peu plus les détails : la peau un peu plus blanche que la semaine passée, sauf sous les yeux ; ces ridules au coin de mon regard, qui ne sont pas là d'habitude, pas à mon âge ; ces sourcils froncés, parce que mes rétines trouvent la faible lumière déjà agressive. Je suis éreinté.
Est-ce qu'ils vont le voir ?
Oh, non, pas les autres, quand même pas. Moi je sais que je suis fatigué, qu'il me manque des heures de sommeil au compteur, que ça fait longtemps que je n'ai pas fait le plein des sens. Mais bon, je suis bon comédien, j'agis comme à l'accoutumé. En plus, je suis grognon et pince-sans-rire de nature, alors tu crois vraiment qu'ils vont voir la différence ? Depuis ce matin que je travaille, boss ne m'a fait aucune réflexion sur le sujet.
D'ailleurs, regarde, la journée est terminée, je me casse. J'ai les yeux qui piquent comme s'ils étaient emplis de soda, des paupières en plomb, et une barre d'acier virtuelle qui rentre par une tempe pour ressortir par l'autre. Mais ça ne se voit pas. C'est fascinant.
"Bonne soirée boss.
- Bonne soirée Vërgson."
Vraiment fascinant.
"Hé, Vërgson ! Pionce un peu c'te nuit, tu seras gentil. Si j'avais embauché un zombie il aurait encore meilleure gueule que toi."
Merde : ça se voit.
Sven Thomasson Vërgson
19ème jour d'Octobre 2067