Britania
"La nature, sans déconner, ça m'impressionnera toujours..." a dit Hurley, l'air émerveillé. J'ai acquiescé.
Chez moi, dans mon bloc d'habitation, j'ai une plante verte. Autant te dire que c'est pas la jungle. J'en ai qu'une, et c'est pas moi qui l'ai foutu là : c'est une ex. C'est pas que je sois allergique à la chlorophylle, bien au contraire, mais que veux-tu : c'est tellement loin de mes préoccupations, les plantes, qu'il ne me viendrait jamais à l'idée d'en acheter à dessein, même si je trouve ça joli.
Britania - quand tu n'as qu'une seule plante et que tu n'as pas de chat, tu as bien le droit de lui donner un nom - ne prend pas de place. Sous le néon, là-bas dans le coin, elle ne fait pas plus d'une trentaine de centimètres. La majeure partie de l'année, ce n'est qu'une brindille avec plusieurs branches et quelques feuilles vertes ; en hiver on dirait du bois mort mis en terre, pas plus attirante qu'une pierre tombale ; au printemps, vu que je ne m'en occupe pas, elle est submergée d'herbes qui n'ont rien à foutre là. Des trèfles, pour la plupart. Ne me demande pas pourquoi.
Britania a du courage de persister à exister : je suis un bien mauvais maître. Je l'arrose quand j'y pense, laisse les mauvaises herbes l'envahir. Si je pars en vacances, nul voisin ne vient s'en occuper. On pourrait croire que je m'en tape, mais j'y tiens, à Britania. C'est juste que... je ne sais pas, je n'y pense pas. Le jardinage, pour moi, c'est une heure, une fois dans l'année : Hurley m'apporte un peu de terre fraîche piquée dans les serres où bosse son père, j'arrache toutes les pousses qui ne devraient pas être là, fait du propre dans et autours du pot. Quand je l'arrose, pour conclure, rendant la terre brillante, Britania a l'air différente. Comme un plongeur en apnée qui rejoint la surface.
Britania a du courage, et en plus elle n'est pas rancunière : chaque fois où je la pomponne, malgré les mois de sévices qu'elle a enduré, elle me remercie d'un unique bourgeon. Il gonfle, il rosie, puis il s'ouvre en une seule belle et grande fleur rose fushia. Et on la regarde, Hurley et moi, admiratifs de cette pugnacité. Moi, je repense à celle qui me l'a confiée, et au temps passé. Et Hurley, l'air émerveillé, dit :
"La nature, sans déconner, ça m'impressionnera toujours..."
Et j'acquiesce.
Sven Thomasson Vërgson
7ème jour d'Août 2072