Problème temporel
« Je suis pris dans un vaste problème de physique quantique. »
C’est ce que pense Hurley. Qu’il est pris dans un théorème compliqué lié au continuum espace-temps. Ou un truc comme ça. Faudrait qu’il arrête de lire de la science-fiction. Ou de croire qu’on est en plein dedans. Quoique, c’est peut-être lui qui a raison.
Moi je m’en tape un peu, parce que j’habite non loin de mon boulot, et qu’avec un peu de transports en commun j’arrive assez rapidement à l’atelier : dans nos galeries soutteraines, le réseau de métro est pas terrible, mais je m’en sors bien. Hurley, lui, il doit prendre sa bagnole, aux heures où tout le monde doit prendre sa bagnole, et t’imagines pas comment ça se passe, dans nos tunnels. Chaque matin il passe plus de temps à l’arrêt qu’à vraiment avancer. Je me demande s’il irait pas plus vite pour traverser la ville s’il rejoignait la surface et marchait pieds nus dans la neige plutôt que d’utiliser sa caisse. Démonstration théorique, par Hurley :
« Regarde le problème, Sven, et admire le paradoxe. Je dois être au taf à 8h30 pour l’ouverture du bureau. En théorie, il faut 30 minutes pour faire le trajet depuis chez moi. Mais si je pars à 8h00, je suis pris dans les bouchons, des embouteillages terribles, et j’arrive à 9h10. Ouais, plus d’une heure de trajet. »
Je réponds d’un « humhum » qui n’est pas vraiment une réponse, juste un signe que je suis toujours avec lui dans la pièce.
« Si je compte plus d’une heure de trajet et que je dois être à 8h30 au boulot, je devrais partir à 7h20. Mais si je pars à 7h20, il y a moins de monde sur la route, et j’arrive à 8h05 ! Le bureau est fermé, et je dois poireauter près d’une demi-heure pour rien. »
Je fais une grimace pour accompagner la sienne. Genre « ah ouais, pas cool ! ».
« Alors j’ai essayé des heures intermédiaires, mais à chaque fois je suis baisé : si je pars à 7h45, j’arrive à 8h50 ! Encore en retard. Si je pars à 7h30, j’arrive à 8h15. Encore en avance. En partant entre 7h35 et 7h40, j’ai encore un quart d’heure de retard. Tout se joue à cinq minutes d’intervalle, Sven. Tu comprends ? »
Ma moue faussement impressionnée lui fais signe que « wouhaou, c’est impressionnant ! ».
« Hurley en avance ou Hurley en retard. Pas moyen d’être à l’heure. Il n’y a que deux états possibles, dont aucun ne me satisfait vraiment. Je suis pris dans un vaste problème de physique quantique. »
Comme quoi c’est pas parce qu’on est monsieur tout le monde qu’on ne peut pas être impliqué dans les grands paradoxes de l’univers. Je l’ai laissé à ses recherches sur un certain Newton : ce matin les transports en commun étaient en grève, je suis parti au boulot à pied. Et finalement, c’était pas plus mal.
Sven Thomasson Vërgson
17ème jour d’Octobre 2066
/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fcedistic%2Fcamera.png)