A poêle !
Le beurre crépite dans la poêle et, d'un mouvement de poignet trahissant une grande habitude de manier le manche - je te parle de tennis, banane - je fais tourner la noix fondante jusqu'à ce que toute la surface luise.
Je jette alors l'oignon émincé en fines lamelles et savoure de nouveau le bruit caractéristique du produit frais touchant une plaque portée à chaud. Je remue avec une spatule en bois : il paraît que les ustensiles en plastiques sont bien plus hygiéniques, mais pour moi ça relève de l'hérésie de cuisiner avec autre chose que du bois. Et si t'es pas content, tu vas manger ailleurs.
En attendant d'ajouter les lamelles de poivrons, je fais chauffer l'eau pour les nouilles chinoises. Elles patientent paisiblement sur le plan de travail, et je leur adjoint la compagnie du sel, du poivre et de la sauce soja. Une sauce soja "made in Madame Wong", bien entendu.
Quelques minutes plus tard, alors que l'oignon et le poivron sont désormais unis par les liens du mariage culinaire, je monte le feu et balance les nouilles juste cuites. C'est là que se fait toute la différence, et il faut être rapide : sel, poivre et sauce soja se tiennent prêt, au garde à vous, et j'agis avec maestria, grisé par les senteurs d'asie et les crépitements des ingrédients sautant dans la poêle comme autours d'un feu de joie.
Sur le marché du célibataire, les talents de cuisiniers sont - paraît-il - très appréciés. Pouvoir mentionner ça sur son CV est foncièrement un 'plus' vis à vis des recruteurs. Alors dès que j'ai la possibilité d'impressionner - ou plus modestement d'étonner - une demoiselle par un repas différent d'un "steack haché / pâtes", je ne m'en prive pas. Il s'agit en effet de...
... ah, tu m'excuses, c'est prêt. Je peux pas t'expliquer comment je le sais : je le sens. Alors je fais glisser la poêlée dans une assiette chaude, attrape une fourchette, et vais m'installer - seul, en chaussettes et mal rasé - dans le gouffre moelleux de mon canapé déjà bien encombré.
Hum ? Si je mange seul ce soir ?
Oh oui, y'en a pas assez pour deux !
Sven Thomasson Vërgson
21ème jour de Juin 2067