Le rendez-vous
Un frisson fulgure à travers mon corps, remonte le long de ma colonne vertébrale, rebondit sur mes cervicales, et redescendit aussi sec pour terminer sa course dans mes burnes. Petit fourmillement désagréable. Je m'ébroue.
Les deux poings violemment enfoncés dans les poches de mon manteau, figé comme un glaçon, j'arrête de respirer pour faire cesser ces volutes blanches qui dansent devant mes yeux à chacune de mes expirations : ça fait comme des spectres, sortant de mon corps en emportant un peu de sa chaleur, me narguant malicieusement en s'échappant sans que je puisse les rattraper. Bref, l'attente commence sérieusement à me casser les couilles. Grave.
J'entreprends de faire les cents pas : un... deux... trois... quatre... bordel mais qu'est-ce qu'elle fout ? J'suis vraiment trop bon - trop con - et je me demande bien ce que je lui trouve, à Svetlana. Dix huit... dix neuf... vingt... Elle ne m'appelle que lorsqu'elle a un problème, et moi comme un gentil St Bernard j'accoure avec le sourire. Sauf que j'ai pas autant de poils, et encore moins de rhum. Trente-trois... trente-quatre... trente-cinq...
Oh et puis merde, j'appelle ! Ma main tremblante tâtonne à la recherche de mon portable, cherche fébrilement dans le répertoire. Ah, ça sonne. Mieux : ça répond.
"Svetlana ?
- Ah, salut Sven !
- Bordel, t'es où ?
- Ben... je suis chez moi, pourquoi ?
- Pourquoi ? Parce que ça fait près d'une demi-heure que je t'attend au dôme numéro deux !
- Mais enfin Sven, je t'ai dit rendez-vous samedi 29 !"
Alors là, tout comme moi, tu as compris l'embrouille. Du coup elle me met le doute, mais j'ai vérifié plusieurs fois :
"Svetlana, le 29, c'est aujourd'hui. Vendredi.
- Oh... merde... Oh merde !"
Elle semble horrifiée.
Je suis frigorifié.
Sven Thomasson Vërgson
29ème jour (un vendredi) du mois de Juin 2067