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Blanc comme neige...
24 mars 2009

Aveugle

J'avance dans la galerie de ma démarche étrange, démarche que j'essaie d'oublier en me concentrant sur autre chose. Le froid, par exemple. Le froid de mon souffle blanc que j'expire régulièrement ; Le froid de mes os que j'évacue par frissons successifs ; Le froid des sons, même, du plic-ploc des canalisations vétustes aux échos d'acier des coursives métalliques. Des échos de mes pas sur la coursive métallique. Et hop, la boucle est bouclée, je repense à mes bruits de pas, et je grimace.

Je me suis blessé, et je ne marche plus normalement. J'ai commencé par des béquilles, les premiers jours. J'en suis à la canne. Je marche avec une jambe qui se plie, et l'autre qui ne se plie pas. Je déambule et je me dandine, plus que je ne marche vraiment, la tête et le tronc penchés à droite pour rehausser ma hanche gauche et pour ramener ma jambe d'arrière en avant.

J'ai mal et je suis ridicule, mais plus que tout c'est le son de mes pas qui me crispe le plus. Mon oreille musicale est peut-être chagrinée par la disparition de la mélodie de mon pas cadencé. Ou peut-être suis-je trop habitué à m'écouter marcher en solitaire dans des galeries parallèles désertes.

A m'écouter et à ne rien voir. Il est sans doute là mon problème : j'écoute et je ne vois pas. Comment l'expliquer autrement, en vérité ? Car, crispé par le son, et avançant dans la galerie de ma démarche étrange, j'essaie de l'oublier en me concentrant sur autre chose. Mes yeux, par exemple, et ce jeune gamin qui tague calmement un réservoir d'acier gelé ; son bonnet noir sur lequel est brodé une feuille blanche ; son regard expressif et son visage qui l'est moins ; la souplesse de son bras qui m'impressionne, comme si la bombe de peinture se balançait au bout d'un gros élastique. Et je fronce les sourcils, car si mes yeux le détaillent pour la première fois, j'ai l'impression de l'avoir déjà vu. Pire, en le regardant vraiment - je le répète : pour la première fois - ma mémoire me renvoie des images en pleine gueule et je me rends compte qu'il a toujours été présent dans mes galeries. Que je l'ai croisé ici. Que je l'ai aperçu .

Et c'est ainsi que pour la première fois, alors que mon pas cahotant me fait passer devant lui, ma tête tourne et mes yeux le fixent. Je le dévisage et le découvre. Enfin, pour moi, après tout ce temps, il existe. Il a l'air surpris que je le remarque enfin. Pas autant que moi. Je suis stupéfait de réaliser qu'il y a des choses qui se passent sous notre nez sans qu'on ne les remarque jamais, sans que notre cerveau ne nous le mentionne.

Je suis effrayé, parfois, de voir à quel point je suis aveugle.
A quel point nous le sommes tous.


Sven Thomasson Vërgson
24ème jour de Mars 2069

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Commentaires
N
Vous prenez de l'épaisseur monsieur Vergson (je ne dis pas de l'embonpoint évidemment)
S
Berthoise : tu as bien raison. L'histoire - même imaginaire - des inconnus est toujours plus passionnante que celle de son propre nombril.
B
Je croise des gens régulièrement, sans les connaitre et des fois, j'imagine leur histoire.
S
Chantal : c'est malheureux, hein ? On a tous, tant et tant, le menton rentré et les yeux sur notre nombril...<br /> <br /> Mlle Moi : oui, bon, hein, ça suffit maintenant...<br /> :)
M
C'est sûr, les tags se répandent dans la blogosphère :p
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